Alicia Canaviri : Les avancées récentes de l’économie sociale et solidaire en Bolivie

Nouvelle | Publié: 26 septembre 2016

Parmi les centaines de participants venus au Forum mondial de l’économie sociale, plusieurs de nos partenaires étaient présents. Alicia Canaviri, présidente du Mouvement d’économie sociale solidaire et communautaire et du commerce équitable de Bolivie (MESyCJB, auprès duquel le CECI envoie des coopérants volontaires depuis 2005) était du nombre. Cette autodidacte engagée nous a parlé des avancées récentes du mouvement dans son pays.

La nouvelle lui est parvenue par téléphone la veille de son départ pour Montréal : le gouvernement d’Evo Morales a enfin signé, début septembre, la reconnaissance formelle et légale du MESyCJB. Après quatre années de combat politique et d’activisme incessants, en particulier auprès des pouvoirs publics et des autorités ministérielles peu au fait de l’économie sociale et solidaire (ESS), Alicia Canaviri a accueilli l’annonce avec satisfaction, mais sans triomphalisme. « Cette non-reconnaissance juridique était un frein immense à notre pouvoir d’action. Nousétions comme une personne née qui n’avait pas de certificat de naissance » explique celle qui est présidente du mouvement bolivien depuis 2013.

«Désormais nous allons pouvoir profiter des aides du gouvernement, mener des projets de renforcement de capacités, obtenir des bourses, accéder à des crédits bancaires, etc. » se réjouit Alicia Canaviri. Mais si cette reconnaissance officielle est une avancée essentielle, elle n’est qu’«une première étape : maintenant nous avons la possibilité de développer pleinement nos actions et d’atteindre nos objectifs. Le vrai travail va enfin commencer».

La perspective est loin d’impressionner cette Bolivienne de 60 ans qui depuis plus de quatre décennies œuvre pour la justice et le droit des femmes, et a fait preuve tout au long de sa vie d’une volonté peu commune. 
Née dans un ayllu (1) d’une communauté aymara, près du salar d’Uyuni, envoyée à l’école à 8 ans pour y apprendre l’espagnol, Alicia Canaviri arrête sa scolarité au bout de 3 ans pour aider ses parents, cultivateurs de quinoa et éleveurs de camélidés. A 12 ans, elle accompagne sa mère qui donne des ateliers de tissage et de cuisine à des groupements de femmes - « j’enseignais à ces femmes, et en échange elles me donnaient à manger » se souvient Alicia. Deux ans plus tard, sur les conseils d’une intervenante sociale, elle part suivre une formation et travaillera pendant près de 10 ans comme assistante auprès de travailleurs sociaux.

Sa vie prend un nouveau tournant lorsqu’à 23 ans elle s’inscrit à la Paz dans un institut de formation en administration d’entreprise et comptabilité. Pour financer ses études, elle travaille comme vendeuse de rue, domestique, puis travailleuse sociale dans une ONG impliquée dans la diffusion de programmes radios sur le droit des femmes aymaras. Très vite, l’administrateur de la radio la repère … et la met à l’antenne comme journaliste! Elle a 25 ans, et entame une nouvelle carrière.

Tout en élevant ses quatre enfants et en suivant des cours du soir pour obtenir un diplôme d’études secondaires puis universitaires, Alicia Canaviri va, pendant près d’un quart de siècle, mettre en place de multiples programmes radiophoniques et télévisuels d’éducation et de sensibilisation aux droits des peuples indigènes et des femmes aymaras, allant jusqu’à créer deux stations de radios à la Paz. Depuis 2005, son implication dans divers organismes va croissant, notamment au Centre de développement intégral de la femme aymara, et bien sûr au MESyCJB, créé officiellement en 2008 – qui regroupe aujourd’hui plus de 140 organisations engagées dans la production agro-écologique et biologique (artisanat, textile, bois, cuir, bijoux, etc.).

Soucieux de parvenir à consolider une économie alternative au système capitaliste, le MESyCJB s’est allié en juillet à quatre autres organisations afin de donner plus de poids à ses requêtes. «Ensemble, nous demandons que le gouvernement approuve la loi de 2008 sur l’ESS qui n’est toujours pas promulguée, mette en place une instance gouvernementale qui nous soit dédiée et crée un label national de commerce équitable» résume Alicia Canaviri, qui ne fait pas mystère de son objectif ultime: obtenir la révision du code du commerce bolivien. La présidente du MESyCJB souhaite également mettre en place des campagnes d’information pour sensibiliser la population aux enjeux de l’ESSet mener des recherches pour documenter le mouvement en Bolivie – «il existe très peu d’écrits» regrette-t-elle.

Pourtant, même si sa formalisation est récente, l’ESS a des racines très profondes dans le pays. « Elle est ancrée dans la culture andine qui repose sur les valeurs de réciprocité, de complémentarité, de solidarité, d’entraide spontanée et de travail en collectivité. La philosophie même du mouvement vient de la culture indigène» rappelle l’activiste bolivienne. Une philosophie qui selon elle serait en train de se répandre, importée dans les centres urbains par les jeunes qui quittent les campagnes. « Bien sûr on n’est plus au 16eme siècle, la réalité a changé reconnait Alicia Canaviri. Mais on va se battre pour conserver et consolider ces pratiques, croyez-moi! ». Il ne viendrait à l’idée de personne de mettre en doute la parole de cette femme déterminée.

(1) Communauté andine composée de plusieurs familles dont les membres travaillent de façon collective dans un territoire de propriété commune


Du 7 au 9 septembre 2016, s’est déroulé le Forum mondial de l’économie sociale (GSEF), un événement rassemblant plus de 1500 personnes des quatre coins du monde pour discuter et travailler sur la collaboration entre les gouvernements locaux et l’économie sociale pour le développement des villes, co-organisé par le Chantier de l’économie sociale, et membre associatif du CECI.

À cette occasion, nous avons eu le plaisir d’accueillir 3 partenaires du programme Uniterra en provenance du Mali et de Bolivie, oeuvrant en économie sociale et solidaire. En plus de participer activement au GSEF, Madani Koumaré, Baba Cissé et Alicia Canaviri ont multiplié les rencontres avec des organisations québécoises pour échanger sur les façons de faire et renforcer les liens de solidarité.

Le programme Uniterra, mis en œuvre conjointement par le CECI et l'EUMC, est un programme canadien de coopération internationale qui fait figure de chef de file. Dans le cadre du programme, 600 volontaires contribuent chaque année au changement positif et durable vers un monde plus égalitaire, en consacrant de quelques semaines à deux ans de leur vie à un travail volontaire à l’international. Le programme permet aussi d’impliquer des Canadiennes et Canadiens et ainsi de jouer un rôle actif dans la lutte contre la pauvreté.​

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