Mettre fin aux violences basées sur le genre au Mali

Nouvelle | Publié: 25 février 2020

Un fléau à éradiquer

Les violences basées sur le genre sont l’une des violations des droits fondamentaux les plus répandues dans le monde. Dans les régions en proie aux conflits, notamment, les femmes et les filles se retrouvent souvent livrées à elles-mêmes et sont particulièrement vulnérables à ce type de violences.

Le Mali, qui vit en situation de crise sécuritaire depuis 2012, ne fait malheureusement pas figure d’exception. Le gouvernement estime que 85 % des femmes maliennes auraient déjà été victimes de violences basées sur le genre. Ces violences peuvent prendre différentes formes (coups, mutilations génitales, mariages forcés, grossesses précoces, humiliation, ou encore privation du droit à la terre) et ont des conséquences désastreuses sur la vie des victimes, lorsqu’elles n'entraînent pas la mort.

Au cours des cinq dernières années, le projet Justice, prévention et réconciliation pour les femmes, mineurs et autres personnes affectées par la crise au Mali (JUPREC), avait pour objectif d’accroître l’accès à la justice des personnes affectées par la crise, dont les femmes et les mineurs, et d’assurer un respect optimal de leurs droits. Au delà des conséquences de la crise, le projet s’est attaqué aux causes profondes des violences basées sur le genre, en mobilisant de multiples protagonistes de façon innovante.

L’engagement des hommes et des garçons 

Dans la majorité des sociétés à travers le monde, les hommes sont les principaux auteurs des violences dirigées contre les femmes. Néanmoins, tous les hommes ne se livrent pas à ce genre d’actes et certains peuvent même devenir des alliés pour promouvoir les droits des femmes et encourager des changements positifs.

Dans 18 communes de 6 régions du Mali, le projet JUPREC et ses partenaires ont renforcé les connaissances de ces alliés dans le domaine des droits des femmes, tout en les aidant à prendre conscience de leur capacité à mobiliser d’autres hommes pour insuffler des changements positifs. Ces « hommes modèles » ont été accompagnés dans la préparation d’activités participatives de sensibilisation communautaire telles que des sketches, des pièces de théâtre et des causeries en langues locales, permettant d’ouvrir le débat sur la répartition des tâches ménagères dans le foyer ou encore sur le rôle des hommes dans l’éducation des enfants. Ils se sont par la suite engagés dans des « caravanes d’hommes modèles » où les hommes désignés comme tels par leurs communautés d’appartenance se sont déplacés vers d’autres communautés afin de montrer qu’il est possible de transformer les relations inégalitaires entre hommes et femmes et que cela est gagnant pour le couple et la famille.  

Au fil des ans, de plus en plus d’hommes les ont rejoints, après avoir constaté l’impact positif que les conseils des « hommes modèles » avaient dans leur couple et leur famille.

« Je n’étais pas un homme modèle et quand je me suis marié, je pensais que la femme était une parure à la maison. JUPREC et l’Association pour le développement des droits de la femme (APDF) m’ont montré que la communication et l’entente mutuelle au sein du couple contribue à l’épanouissement de tous les membres du ménage. J’étais agressif au début des sensibilisations d’APDF. Les formations et sensibilisations m’ont permis de comprendre et d’appliquer ce que j’ai appris au sein de ma famille. » - Animateur de radio qui diffuse désormais des radio-romans pour sensibiliser aux droits humains et aux effets néfastes des violences basées sur le genre dans la vie du couple.  

Grâce à son approche des masculinités positives, le projet JUPREC et ses partenaires locaux ont accompagné de nombreux hommes dans la redéfinition de leur masculinité, vers des comportements non-violents et des responsabilités partagées au sein du foyer. Cette approche servira d’ailleurs de modèle dans un nouveau projet du CECI au Mali

L’engagement des imams

Dans les communautés maliennes, les imams jouent le rôle de médiateurs familiaux, ils facilitent la paix au sein des familles et au-delà. Leur parole est très écoutée par les populations et ils disposent d’un grand pouvoir d’influence sur les comportements des personnes qui partagent leurs croyances et les écoutent.

 Sans aller à l’encontre de son caractère strictement laïc, le projet JUPREC a travaillé avec des imams pour qu’ils deviennent des agents de changement, en prêchant pour l’égalité, en prodiguant des conseils égalitaires et en accompagnement les hommes ou les couples qui cherchaient à améliorer leur vie familiale.

« Une femme doit être traitée comme Dieu l'a dotée, avec des droits, tels que d'être traitée comme un individu, avec le droit de posséder et de disposer de ses propres biens et revenus, même après le mariage. Elle a le droit d'être éduquée et de travailler hors du foyer si elle le souhaite » - Imam de la région de Tombouctou

Comités de paix et de réconciliation 

Dans les régions de Gao, Tombouctou, Ségou et Mopti, le projet JUPREC et ses partenaires ont mis en place et renforcé 28 comités de paix qui utilisent le dialogue social pour prévenir et gérer les conflits locaux, qu’ils soient ouverts ou latents. L’objectif de cette initiative était d’encourager le contrôle citoyen sur l’action publique, la recevabilité mutuelle entre la société civile et l’état, et la participation des communautés aux décisions qui les concernent.

En plus de favoriser une culture de résolution de conflits par le dialogue, les comités de paix ont joué un rôle central dans l’accompagnement des victimes vers les antennes régionales de la Commission vérité justice et réconciliation, l’instance chargée de documenter les cas de violence dans le cadre du conflit pour favoriser une justice transitionnelle inclusive. Le rôle des femmes dans ces comités a été considéré avec attention. 30% des places étaient réservées aux femmes et leur leadership a été renforcé pour s’assurer que leurs voix soient entendues. Les comités de paix ont donc permis de créer un processus de changement social inclusif et durable, contribuant à réduire la marginalisation des plus exclu-e-s, notamment en transformant les femmes victimes de conflits en agentes de changement.

D’autre part, un système de cotisation des membres des comités de paix se poursuivra pour permettre de subvenir à leurs activités après la fin du projet.

Plaidoyer pour une loi contre les violences basées sur le genre

Le projet JUPREC a accompagné ses partenaires locaux dans la rédaction d’un avant-projet de loi contre les violences basées sur le genre. Mais depuis 2017, l’avant-projet fait face au blocage de certains traditionalistes et il est toujours en attente d’adoption par le parlement malien. 

Des actions de plaidoyer ont donc été lancées afin de mettre pression sur les parlementaires et les ministres. Une pétition demandant l’adoption d’une loi a été lancée et a déjà recueilli 5 000 signatures. De plus, des activités de mobilisations sociales en faveur de cette loi se poursuivent, par le biais des partenaires locaux du projet, de consultations interministérielles et de même que les rencontres avec les décideuses et décideurs politiques. 

Ces actions de plaidoyers pour l'adoption d’une loi contre les violences basées sur le genre se poursuivront à travers l’accompagnement stratégique du CECI auprès des organisations de femmes au Mali. 

Pour soutenir la durabilité de ses différentes approches, le projet JUPREC a mis en place des réseaux régionaux d’« hommes modèles », d’imams engagés et de comités de paix qui permettront de faciliter les échanges, la solidarité et le partage de stratégies gagnantes dans la prévention contre les violences basées sur le genre. La reconnaissance des « hommes modèles » et des imams engagés comme des agents clés de l’égalité de genre  contribuera à la pérennité de ces moyens d’action qui visent à renforcer l’intégrité et le leadership des femmes au milieu de la crise prolongée que vit le Mali.

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